• Fatima Hakem

    Un système fondé sur l'injustice

    MARDI, 21 FÉVRIER, 2006
    L'HUMANITÉ

    Rencontre avec Fatima Hakem qui fut, entre 1957 et 1962, agent de liaison.

    Kabylie, envoyée spéciale.

    Ses yeux noirs et pétillants illuminent son visage creusé de rides. La fierté avec laquelle elle évoque son engagement dans le combat pour l'indépendance ne laisse rien deviner des souffrances et des humiliations passées. Fatima Hakem n'avait pas trente ans, et trois jeunes enfants, lorsqu'elle décide, contre l'avis de son mari, de prendre sa part, comme d'autres membres de sa famille, à la lutte de libération nationale. Cette paysanne kabyle est devenue, dès 1957, agent de liaison du FLN. Illettrée, elle avait alors imaginé un alphabet de signes pour se souvenir des destinataires des messages qu'elle transportait. La maison familiale, isolée, à la sortie du village de Mechtras, au pied du Djurdjura, servait souvent de refuge aux maquisards venus se ravitailler.

    De la colonisation, Fatima conserve le souvenir d'un système fondé sur l'injustice. Elle évoque la spoliation des terres et la grande misère des indigènes. « Nous étions sous les pieds des colons, raconte-t-elle. Nous avions beau travailler, il nous était impossible d'améliorer notre condition. Tout était pour les colons, nous, nous n'avions rien, nous étions déconsidérés. » À regret, elle explique que les portes de l'école restaient fermées aux enfants de sa condition. « L'éducation était réservée aux enfants des caïds, des gardes champêtres, de ceux qui étaient proches des autorités coloniales », se remémore-t-elle. Mais les pires souvenirs restent ceux de la guerre : les coups des soldats, le bruit des rangers sur la porte de la maison, en pleine nuit, et la maisonnée terrorisée, les arrestations, la torture subie par son père et son frère, la peur de chaque instant. « J'en veux encore aujourd'hui, non pas au peuple français, mais à l'armée française », confie-t-elle. La vieille femme évoque émue les pères blancs des Ouadhias. « Eux ne nous ont pas fait de mal. Ils nous soignaient, éduquaient les enfants, se souvient-elle. Quand la répression s'est abattue sur la population, - pendant la guerre, il était courant que des hommes aillent se réfugier chez les pères blancs, qui les cachaient ou les protégeaient des soldats. »

    À soixante-dix-neuf ans, Fatima ne regrette rien de son engagement. « Si c'était à refaire, je n'hésiterais pas une seule seconde », assure-t-elle. Malgré l'amertume des promesses non tenues de l'indépendance, surtout dans cette Kabylie où la révolte du « printemps noir », réprimée dans le sang, reste prégnante. « Nous allons d'échec en échec depuis l'indépendance, et le FLN porte une lourde responsabilité », accuse-t-elle, rappelant les purges qui ont ensanglanté la lutte de libération nationale et les assassinats de Krim Belkacem et d'Abane Ramdane. « Des hommes de valeur ont été éliminés, l'Algérie en paie encore le prix. Il est temps de le reconnaître. » Autre regret de cette grand-mère qui met un point d'honneur à transmettre ses souvenirs à ses petits-enfants : le manque de reconnaissance vis-à-vis du combat des femmes pendant la guerre - d'indépendance. « Nous nous sommes battues, nous avons joué un rôle déterminant. Pourtant, à l'indépendance, on n'a pas reconnu nos droits. Et aujourd'hui encore, il n'y a pas d'égalité entre les hommes et les femmes. » R. M.

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